Cadeaux de Noël : l'embarras du choix

Cette fois, c'est décidé, vous vous l'êtes tous promis : Noël en famille, on le fête sans cadeaux, sauf pour les enfants. On le dit, on y croit, puis on pense à autre chose, soulagé de ne pas avoir à souscrire à cette obligation. Mais le soir du réveillon, ça ne rate pas : il y en a toujours deux ou trois qui n'ont pas pu résister et qui sortent d'un air gêné leurs petits paquets enrubannés. "Quand même, c'est Noël..." s'excusent-ils. Et les autres, qui ont les mains vides, de quoi ont-ils l'air ?

Ah ! Les cadeaux de Noël ! Pour certains, paraît-il, leur quête est un véritable plaisir. Longtemps à l'avance, ils listent les personnes qui les recevront, fouillent dans leur mémoire et leur imagination pour trouver quelques bonnes idées, repèrent dans les boutiques, observent, réfléchissent, reviennent... Et achètent calmement "le" cadeau idéal. Mais pour les autres, de loin les plus nombreux, ce casse-tête annuel s'apparente plutôt à une corvée. Et parfois à l'enfer.

Courses de dernière minute, magasins bondés, articles manquants... Le stress monte, le temps presse : les conditions sont réunies pour faire les mauvais choix. Du moins l'affaire est-elle bouclée ! Moyennant quelques emballages, vous voici l'esprit libre pour une année entière... Si ce n'est qu'il ne suffit pas d'avoir choisi des cadeaux pour les autres. La date fatidique venue, il va encore falloir recevoir ceux qui vous sont destinés. Une fois vaincue la première épreuve, une autre commence.

Car des cadeaux, il y en a de toutes sortes. Il y a ceux qu'on vous offre et dont on ne voulait pas. Ceux dont on rêvait et qui n'y sont pas. Ceux qui arrivent trop tard, ou trop tôt, ceux qui se trompent de destinataires. Les beaux mais inutiles, les coûteux mais sans charme. Pire encore : celui auquel on n'aurait même pas pensé tant on le trouve laid, et qui est maintenant là, dans nos mains, sous les regards de tous... Mais que diable va-t-on en faire ? Le dissimuler sur l'étagère, derrière la grosse encyclopédie ? Le casser par inadvertance, le perdre ? Le revendre sur Internet ? Même si certains se laissent séduire par cette formule, cette dernière solution sera sans doute la moins suivie. On ne se débarrasse pas si facilement d'un cadeau, a fortiori contre de l'argent. Même mal choisi, l'objet offert est porteur d'un sens qui le dépasse. Autant pour celui qui donne que pour celui qui reçoit, il représente une forme de communication à part entière. Et crée donc son lot d'obligations. Et de malentendus.

"L'EXIGENCE DE RÉCIPROCITÉ"

L'écharpe reçue de votre tante est à l'évidence moins belle que celle destinée à votre cousin ? Le collier amoureusement choisi pour votre douce et tendre est sans commune mesure, par son prix comme par le temps que vous avez consacré à sa recherche, avec le dernier roman à la mode qu'elle vous a offert ? Vous n'aviez au contraire pas pensé recevoir des présents si magnifiques, et vos propres trouvailles vous paraissent soudain un peu minables ? Si la générosité est inhérente au cadeau, elle ne peut jamais fonctionner parfaitement bien dans le déséquilibre. "La source du problème est toujours l'exigence de réciprocité", souligne l'ethnologue Mark Rogin Anspach, auteur d'un passionnant ouvrage sur le don et l'échange (A charge de revanche, éd. Seuil, 2002, 140 p., 19 euros). Comment éviter que, plutôt qu'être perçue comme un don véritable, une prestation sans retour ne paraisse l'imposition d'une dette non payée ?

"Une générosité à sens unique peut être agressive, poursuit-il, mettant la personne qui reçoit dans une dépendance difficile à supporter, surtout s'il s'agit d'un adulte." Pour les enfants, en effet, la question ne se pose pas. Et moins encore pour les petits, auxquels revient la donation spontanée, non intéressée, qu'incarne le Père Noël. Une promesse de bonheur précieuse aux parents, puisqu'ils peuvent sous son nom donner sans retenue et les enfants recevoir sans merci.

"Par ce moyen, les cadeaux de Noël restent un sacrifice véritable à la douceur de vivre", soulignait Claude Lévi-Strauss il y a un demi-siècle. Cherchant à comprendre ce qui a poussé les adultes à inventer ce bonhomme à la barbe blanche et au manteau rouge, s'interrogeant sur "le soin tendre" que nous prenons de lui, il risquait cette suggestion : "N'est-ce pas qu'au fond de nous veille toujours le désir de croire, aussi peu que ce soit, en une générosité sans contrôle, une gentillesse sans arrière-pensée ?"

Catherine Vincent -
Le Monde, Article paru dans l'édition du 19.12.06.